jeudi 8 octobre 2015

Voyage dans le temps

C’était une époque où la technologie avançait vite. On faisait découverte sur découverte, progrès sur progrès. Par exemple, un téléphone portable, d’abord tout simple, juste un appareil pour communiquer avec un interlocuteur, était devenu, en une demi-décennie, un bijou d’informatique bourré d’applications en tous genres. 

À cette époque, cependant, les saisons étaient toujours les mêmes. Après le printemps, l’été, après l’été l’automne et l’hiver. Cette année-là, l’été avait été caniculaire et tout le monde était content parce que les deux années précédentes, la saison avait été pourrie. Alors quand, en septembre de cette année-là, les températures commencèrent à baisser, le contraste fut encore plus grand et on eut vite froid, surtout dans cet immeuble ancien, mal isolé. Au bout de dix jours, il faisait même plus froid dedans que dehors. 

Au début, on s'était dit que les radiateurs allaient chauffer bientôt. C’était toujours comme ça que ça se passait. Un ou deux jours frisquets et puis le chauffage mais au bout de dix jours à 17° dans l’appartement, on commença à se poser des questions. 

Comment ça marche, au fait, le chauffage? C’est là qu’on apprend qu’il y a une chaudière neuve de deux ans, à gaz et non plus à mazout. — Bon, d’accord, mais alors comment elle se met en marche, la chaudière? Il y a un thermostat et quand il fait froid, elle démarre, non? Ah nooon, c’est pas comme ça que ça se passe, il faut un chauffagiste, un monsieur du métier, pour venir allumer la chaudière et faire des réglages. — Bon, alors il pourrait passer, le chauffagiste? Ben oui, mais vous savez ma petite dame, vous n’êtes pas toute seule, les ordres sont donnés à mi-septembre pour que toutes les chaudières de la République soient enclenchées à fin septembre et les chauffagistes ne peuvent pas être partout en même temps! — Mais on pourrait pas s’y prendre plus tôt? Mais non, c’est mi-septembre pour fin septembre, c’est tout.

La dame voulut en savoir plus. Elle se demanda d’abord si les températures étaient au courant qu’elles ne devaient pas descendre avant fin septembre… Elle habitait là depuis 60 ans et que c’était la première fois qu’elle remarquait que le chauffage n’était pas quelque chose de magique qui arrivait tout seul, avec la saison froide. Tiens donc, mais il y a eu toujours eu un chauffagiste? Non, non, non, mais avant, on avait une seule chaudière pour l’eau chaude et le chauffage, c’était archaïque. Quand les locataires ouvraient les vannes des radiateurs, la consommation d’eau chaude augmentait et pendant deux ou trois jours, l’eau était tiède au robinet. Tout se rétablissait ensuite. La chaudière chauffait plus d’eau pendant l’hiver que pendant l’été et la facture de chaque locataire augmentait avec la température dans les pièces. Mais avec la modernité, on avait mis deux chaudières et des vannes thermostatiques à chaque radiateur. Pour faire des économies. «Deux chaudières et toutes ces vannes, c’est pas des économies» se dit la petite dame qui véhiculait un bon sens en désuétude.

Elle apprit ensuite que les sondes de température étaient à l’extérieur du bâtiment. 

— Si je veux savoir la température de l’eau qui bout dans la casserole, je mets le thermomètre dedans, pas dans le frigo, avait dit la petite dame au chauffagiste qui venait de l’informer.

Il lui avait répondu avec suffisance que de nos jours, la technologie permettait bien mieux qu’à son époque. 

— N’empêche qu’à mon époque, on n’avait pas froid pendant un mois avant que les radiateurs ne soient chauds. Et là, ils sont à peine tiède. 

Le chauffagiste avait répondu qu’il allait passer, mais il ne savait pas quand, il était surchargé. La dame avait alors fait remarquer qu’à l’ère de la technologie de pointe où il était possible de déclencher des machines à distance… et le monsieur l’avait interrompue en disant que peut-être, on pouvait effectivement agir à partir d’un smartphone, mais que les chaudières n’était pas toutes équipées de ce dispositif et il lui semble même qu’il avait ajouté que «tout le monde ne possède pas un smartphone». Comme il se mettait de mauvaise humeur, elle n’avait pas insisté et s'était abstenue de répliquer qu'au lieu des vannes thermostatiques, il auraient mieux fait d'installer le dispositif pour le smartphone.

Ça lui avait rappelé une autre discussion, à la petite dame. Suite à un incendie, elle s’était retrouvée sans téléphone et donc sans possibilité de recevoir de sms. Or, elle recevait un code d’activation pour accéder à son compte en ligne par sms. Elle avait appelé la hotline de sa banque pour recevoir ce code autrement. Pas possible! 

— Ah bon, mais comment font les gens qui n’ont pas de smartphone?
— Tout le monde a un smartphone, Madame!

Tout le monde a un smartphone, sauf les chaudières de son immeuble, incapables dès lors de recevoir le sms qui mettrait le feu au gaz pour chauffer les radiateurs. La dame soupira et elle se dit, en allumant le petit chauffage électrique, qu’elle préférait quand les gens étaient plus smart que les phones. 







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