mardi 14 décembre 2021

Emménagement enchanté

 


Nous avons tous un enchanteur Merlin en nous, le saviez-vous? Je discute avec le mien depuis quelques décennies déjà et plus je l'écoute, plus il est magique. C'est comme ça que ça fonctionne, les enchanteurs. 

En 2013, après quelques années d'une vie plutôt chaotique et un incendie — histoire que l'histoire soit bien dramatique — j'ai trouvé asile ...chez mes parents. Sur le moment, je ne trouvais pas ça glorieux, mais Merlin me disait que je comprendrai un jour. Mon père a quitté le plan terrestre deux mois après mon arrivée, ce fut un réconfort pour ma mère et moi de ne pas être seules pour traverser ce deuil. Nous avons par la suite instauré un joli modus vivendi de cette colocation qui se prolongeait.

Néanmoins, j'ai depuis le début cherché à me reloger, grande fille adulte que je suis malgré tout. Pour cela, il fallait de quoi assumer un loyer. J'ai donc postulé partout, avec pas beaucoup d'illusions mais beaucoup de bonne volonté, à l'âge canonique de soixante ans! Quatre ans avant celui de la retraite, en Suisse. Je n'ai eu que des réponses négatives, quand je recevais une réponse. Alors j'ai arrêté, parce qu'au bout d'un moment, c'est décourageant. 

Merlin a agité sa baguette magique et un job est venu à moi alors que je n'y pensais même plus et me résignais à prolonger l'asile parental. Je me suis dit que j'allais enfin pouvoir me payer un appartement, mais c'était sans compter que j'habite l'une des villes les plus chères du monde — Genève en Suisse. J'ai songé à quitter le pays, mais mes enfants sont là, mes amis aussi... il eut fallu que ma situation soit plus grave pour m'obliger à le faire et elle était loin de l'être.

Début 2021, contre toute attente, Merlin m'annonce que ce sera l'année de mon déménagement. Plusieurs lotissements sont en construction dans la région, je m'y inscris. Un projet qui s'appelle «Belle-Terre» m'attire beaucoup, je commence à rêver et j'imagine comment je vais meubler mon logement grâce aux plans des appartements disponibles au téléchargement. Tout est en ma faveur, je fais partie des meilleurs candidats, mais voilà... Merlin s'amuse. Une première déception: je crois que je n'ai droit qu'à un deux pièces, c'est-à-dire une cuisine et une pièce qui fait office de chambre à coucher, salon et salle à manger. Je renonce, un peu la mort dans l'âme. Même si c'est dans un joli coin de campagne, pas question d'aller m'incarcérer dans une cellule de 43 m2. Quand je me désiste auprès de la gérance immobilière, la fille me dit que non-non, j'ai droit à un trois pièces. Ah bon! Joie! Me revoilà candidate. 

Je remplis force formulaires, questionnaires, j'envoie des tonnes de justificatifs, ça occupe mes journées — j'ai oublié de dire que le temps a passé et que je suis désormais à la retraite —  mais au bout de dix jours, je me fais dire qu'il n'y a plus de trois pièces disponibles. Re-déception.

Merlin est un enchanteur qui révèle en permanence la magie des choses et de ce fait, je ne plonge plus jamais dans la déprime. À chaque fois que je suis ainsi sur une montagne russe, je sens sa présence, parfois juste rassurante mais souvent goguenarde, attendant que je voies le cadeau caché. Cette fois, il me dit clairement: «Si tu as la patience d'attendre encore un peu, un truc vraiment bien se prépare pour toi». Je respire un grand coup et je repousse mes rêves aux ides de Mars, date-tampon qui semble acceptable à la patience atrophiée qui est la mienne de naissance.

Je constate en l'écrivant que cette histoire a eu des rebondissements à peu près tous les dix jours. Une dizaine de jours plus tard, donc, alors que je n'y pense plus du tout, la personne la moins probable de mon entourage me contacte pour donner le tuyau qu'il reste quelques appartements «dans l'immeuble Tourmaline derrière chez nous, dépêche-toi, les candidatures sont bientôt bouclées». Je dis gentiment merci, mais intérieurement, c'est non merci. Quand je passe dans ce quartier en construction, je me demande comment peut-on au monde construire un tel immeuble si près de l'immeuble d'à côté, et surtout comment peut-on y vivre!? J'ai une grande commisération pour les futurs habitants, d'autant plus que ledit immeuble d'à côté est celui où j'ai habité quand j'étais mariée et que les enfants étaient petits. Je n'ai pas très envie d'avoir la vue sur mon ancien appartement...

Merlin me pousse du coude. «Va voir, qu'est-ce ça coûte?» J'envoie un mail à l'adresse que m'a donnée ma copine et quand je n'ai pas de réponse au bout de trois jours, je suis plutôt contente... J'ai tout de même téléchargé les plans des appartements, ils ne sont pas grands-grands, mais certains ont des balcons, ou plutôt des terrasses à faire rêver! Je recommencer à espérer car ce n'est pas si mal, après tout!

Dix jours plus tard — je vous le disais! — une réponse de la gérance: il reste trois pièces, si je le veux, il est pour moi. AH! Ça commence à bouger, la magie se concrétise! Le jour de la visite de l'appartement, Merlin fait fort, il y en a même deux: celui que j'ai virtuellement meublé et dans lequel je me vois déjà et un autre, dans l'angle, un étage plus haut, le numéro 32. Il est sensiblement plus petit mais drôlement plus lumineux avec une vue un peu plus dégagée. «Je prends», je dis, tout en modifiant déjà l'ameublement virtuel. La décision finale est du ressort de la mairie, ce n'est donc pas encore joué, et je fais encore un peu ce que j'ai fait depuis neuf ans: je prends PATIENCE. J'aurais au moins appris cela. 

Le lendemain — ah ben non, pas tous les dix jours — la gérance de «Belle Terre» me contacte pour me dire qu'il y un trois pièces de disponible pour moi. Ah tiens! L'abondance, tout d'un coup! Je dois montrer patte blanche encore une fois — ce serait trop facile de faire les démarches une fois pour toutes, n'est-ce pas? — et ce serait pour janvier 2022. Je fantasme sur les plans, je vais voir sur place sans pouvoir visiter parce que c'est dimanche et je me réjouis de voir lequel des deux appartements me plaira le plus. Le lundi, la réponse arrive pour Tourmaline: c'est OK ! J'aurais dû m'en douter, Merlin m'avait prédit 2021 pour le déménagement et pas janvier 2022...

J'hésite: et si l'autre me plaisait mieux? Merlin me susurre que je peux m'éviter l'embarras du choix et prendre ce qui arrive sur le premier plateau. Ne pas perdre de vue qu'il est «mon» Merlin et qu'il œuvre en ma faveur, toujours. Bah, oui, allez, il a raison, et puis je n'ai plus de patience, à ce stade...

Encore une poignée de jours et le bail arrive que je dois signer pour l'appartement numéro 31. Ah bon? Ce n'était pas 32, le numéro de cet appartement? Je demande confirmation par mail à la gérance, elle me dit que non, après vérification, c'est bien 31. Je signe et j'attends la suite.

Dix jours plus tard, j'ai rendez-vous pour l'état des lieux et la remise des clefs. Enfin, je saurai à quelle date je peux emménager! Vu que les 64 locataires de cet immeuble neuf emménagent le même mois, on a planifié pour qu'il n'y ait qu'un seul camion de déménagement par jour. Dois-je décrire mon état d'euphorie? Lundi matin, 9h, je prends l'ascenseur avec le monsieur de la gérance, Victor, et le concierge. Arrivée devant l'appartement, j'attends que Victor, qui en détient la clef, m'ouvre la porte de chez moi. Voilà qu'il fait cinq pas de plus et ouvre l'appartement du voisin! «Ah non, ce n'est pas celui que j'ai visité!». Victor répond tranquillement que si-si, c'est bien celui-là.

Sur le moment, je ne m'en rends pas compte, mais Merlin est hilare. Je monte les tours grave, car cet appartement, très beau, a néanmoins zéro balcon. C'est que je m'y voyais bien, moi, à passer l'exclusivité des beaux jours sur la terrasse: petits déj., bronzette, créativité, lunches, cafés, papotages, longues soirées d'été... alors «pas de balcon», ce n'est tout juste pas acceptable! Le concierge dit: «je comprends» et Victor, toujours inébranlable, me dit que si je ne le veux pas, il ne peut pas me donner les clefs. Horrible supplice de Tantale! 

Je râle sec! J'appelle au bureau la fille qui m'a fait visiter pour lui dire ma façon de penser, mais elle est absente jusqu'à mercredi. Je sens bien que je suis un tout petit pot de terre contre un maousse pot de fer, et j'aperçois du coin de l'œil un Merlin très content de lui, qui me signifie: «fais ce que tu veux, ma grande, mais c'est ça ou tu restes chez ta mère». Bon. Ben non. Non-non. Vraiment non. Depuis neuf ans que j'attends, tu parles! ...Alors oui, appartement sans balcon, bon! 

Je redeviens la fille aimable que je sais être parce qu'en définitive, tout cela n'est ni la faute de Victor ni du concierge qui sont au demeurant tous deux vraiment charmants. Alors je signe l'état des lieux avec encore une petite aigreur d'estomac cependant mâtinée d'un début de jubilation. Je renifle un gros cadeau enchanté.

Leur mission étant accomplie, les deux messieurs me disent au revoir et s'en vont vaquer au reste de leur journée. Je reste là, plantée au milieu de l'appartement sans balcon du voisin — ah non, c'est le mien! — avec un Merlin rieur qui m'énerve, là, tout de suite, mais qui m'énerve!

— Quoi!? Pourquoi tu te marres?
— Mais regarde autour de toi! Cet appartement est parfait pour toi: il est plus grand, plus facile à meubler, plus calme, la vue est totalement dégagée...! J'ai bien joué.

Il a raison, l'Enchanteur. Il est superbe, cet appartement! Je respire. Voilà que ça m'atteint et je commence à jubiler. Et puis je me raconte qu'avec le réchauffement planétaire, un balcon est vite une fournaise en temps de canicule, et je me donne un tas d'autres excellentes raisons pour valider une décision que j'ai dû prendre vite.

J'ai maintenant trois jours pour déménager! Il me faut un camion! Je trouve en ligne un formulaire de demande de devis qui est relayée chez les professionnels: en cinq minutes, ils se bousculent au portillon. 

Neuf ans d'attente qui s'achèvent. Je me rappelle que Merlin m'a dit que je comprendrai un jour. J'ai le sentiment que ce timing est la parfaite adéquation de la gestation de ma nouvelle vie. Je ne sais pas ce qui m'attend, je n'ai pas de grand projet particulier, mais je commence à bien connaître mon Enchanteur préféré: ce n'est pas «juste» un chouette appartement surprise. Son petit sourire en coin me laisse présager un futur intéressant.

À suivre…


La vue depuis mon lit




jeudi 2 décembre 2021

Deux chevreuils sauvages

  


Longtemps que je n'avais publié dans ce blog de voyage, circonstances coronariennes obligent. En effet, à peine étais-je rentrée des antipodes en 2019 qu'un autre genre de voyage allait débuter. Un voyage en Absurdistan où une épidémie d'une maladie jusque-là bénigne fait rage depuis le printemps 2020.

J'ai observé la réalité planétaire changer, d'abord avec un peu d'inquiétude et puis avec de plus en plus d'ahurissement. Je ne dirai rien des événements biologiques de ces deux dernières années, je vous laisse voir sur le reste de l'internet, le sujet est abondamment renseigné, il me semble. En revanche, la Couronne du virus qui nous préoccupe s'est vite transformée en entonnoir renversé. Une étrange folie a vu le jour, accompagnée d'une perte quasi totale de la raison. Comme si les neurones étaient irrémédiablement détruits. 

Tous les jours, je vois l'épidémie se renforcer et faire de plus en plus de ravages. Stupidus globalia est le nom latin de cette maladie horriblement contagieuse qui ne tue pas mais rend idiot. On ne sait pas encore si c'est irrémédiable. Espérons que non... Quand je crois qu'on a atteint le paroxysme de la bêtise, voilà que les malades se surpassent. Le pire n'est jamais décevant. 

Ce soir, j'écoutais distraitement la radio en travaillant à l'écran quand arriva le flash des infos. Sur le même ton monocorde, l'animateur a lu les dépêches successives, débitant pêle-mêle l'annonces les dernières mesures sanitaires prises face à l'annonce de la 5e vague, un fait divers dans un coin reculé du pays, une info-route, et enfin:

— Au Canada, on a trouvé deux chevreuils sauvages atteints du Videdizneuf. — Je code le nom du Truc histoire de ne pas me faire interdire de blog par Big Brother pour avoir répandu des fausses infos. S'il peut être transmis de l'homme aux chevreuils, poursuit le journaliste, on sait que l'inverse n'est pas possible.

Je reste en apnée cinq secondes. Mes synapses font des zig-zags. Alors déjà, les «chevreuils sauvages»... existe-t-il des chevreuils domestiques? 

Ensuite, je déduis que quelqu'un a eu l'idée de tester deux chevreuils sauvages contre le Videdizneuf et mes zygomatiques frémissent. Le mec est créatif, tout de même! Qui a pu faire ça? Un laborantin du Labrador qui n'avait rien d'autre à faire et quand il a vu passer ces deux chevreuils sauvages, il les a hélé:

— Hé, les gars, vous voulez pas vous faire tsester? C'est gratsuit. 

Les chevreuils, finalement pas si sauvages, ont accepté, ça leur a fait un événement dans leur journée. Je suppose qu'il ont dû papoter pendant qu'on leur enfonçait un Q-tips dans les naseaux et raconter qu'ils avaient chopé un truc il y a deux semaines lors d'un feu de camp avec un trappeur. La soirée avait été très gaie, mais le lendemain, ils se sont sentis un peu flagada. Quand le test est arrivé positif, ils ont dit: «ah ben c'est pour ça!».

Par contre, ce que je me demande, c'est comment ils savent que les chevreuils ne peuvent pas refiler la maladie à d'autres humains?

Et puis j'ai pas mal d'autres questions: y a-t-il des lits de soins intensifs prévus pour les chevreuils? Va-t-on tester tous les animaux? Pourquoi commencer par les animaux sauvages?

Ça faisait longtemps que je n'avais piqué un si bon éclat de rire!