jeudi 18 avril 2013

Incredible India


Mercredi 17 avril 2013

Un vol sans histoire, une arrivée à Dehli sans encombres. Mercredi égrène ses premières heures, retrouvailles avec Emiline. Un taxi nous emmène à la guest house, je n'ai encore qu'un pâle échantillonnage de la circulation indienne. A minuit, le traffic est plutôt calme. Il fait chaud, mais pas autant que ce à quoi je m'attendais. Contrairement à ce qu'avaient chanté les oiseaux de mauvaise augure, c'est une chaleur sèche et je supporte parfaitement. Nous papotons jusqu'à une heure (indienne) tardive et puis dodo.

Réveil assez tôt après une nuit moite sous le ventilateur éteint pour cause de boucan d'enfer. Nous (re)papotons avec Emiline tout en prenant une douche et en rangeant nos affaires. Au programme de la journée: shopping de matériel pour fabriquer des bijoux qu'Emiline vend ensuite dans sa boutique, mais d'abord le petit déj. Nous quittons la  chambre dont la taille est à peine plus grande que celle du lit, nous enfilons à la queue leu leu dans la minuscule ruelle où se trouve la guest house et au moment où  nous débouchons sur la rue principale, je prends l'Inde en pleine face!

Dans la même seconde, je suis frappée pêle-mêle et dans le désordre, par la lumière, la chaleur, trois klaxons agressifs, l'odeur du curry, un cul de jatte mendiant, les maisons pisseuses, les fils électriques aux normes bien spécifiques du cru, des effluves de rance et d'égouts, les couleurs éclatantes, un chien galeux (pléonasme, en Inde) et puis les gens, les gens, les gens... Partout. Le flux des gens.

On me l'avait promis le choc, je ne pensais pas qu'il me procurerait une telle joie. Non, ce coup en plein plexus, il est fait de joie, certes, mais c'est aussi une détresse sans fond pour cet être tordu à ras terre qui sourit pourtant de ses beaux yeux et dents blanches (comment font-ils pour avoir tous les dents aussi blanches?) et pour toute cette misère qui sue de partout.

Je ne bronche pas je fais comme si tout cela était totalement normal et j'emboite le pas d'Emiline à l'aise dans ses vêtements indiens, à l'aise dans sa peau devenue indienne par osmose.

C'est quoi, au juste, cette duelle et violente émotion qui vient de me secouer sans que rien n'y parraisse? Comment se fait-il que cette poussière et ces maisons délabrées dégagent autant de beauté? Ce pays qui vient de me sauter en plein plexus, c'est bien l'Inde des images connues mais avec en plus, le bruit de la Vie dans tout son tellurisme.

Dix minutes plus tard, dans le touk touk, tout me semble -—à un certain niveau de mon être— si normal que quelque chose me dit que ce pourraient bien être  des retrouvailles. Une vie antérieure de brahman ou d'intouchable, allez savoir... Je connais cette terre.

Mais pour l'instant, je m'étonne d'être aussi zen dans cette folle circulation. Un ami m'avait préparée en me racontant que sur son vélo loué à Pondichery, il avait failli se faire tuer dix fois avant de comprendre «qu'il fallait aller avec le flux».

Aller avec le flux. Un mantra que j'ai fait mien depuis un mois qu'un incendie a reconfiguré ma route. Une pensée qui me permet de m'amuser des slaloms du chauffeur sans le moindre effroi, qui serait pourtant hautement légitime. Je me laisse à ce point mener par le flux que je fais une première erreur. Je laisse un jeune indien m'approcher de trop près. Il ne fut que le 12 ou 13e à nous proposer son touk touk sur cinquante mètres, et si Emiline a répondu autrement que par un autisme complet, c'est que le moment était venu pour nous de le prendre. Elle donne la destination, négocie le prix, palabre sur la précision de la destination. L'indien appelle un collègue à la rescousse, qui prend de guidon et nous avons dès lors droit à deux chauffeurs. La conversation est entamée et s'ensuivent toutes les questions indiscrètes. D'où nous venons, ce que nous faisons, notre origine, notre langue, les quelques mots de francais qu'il sait, notre vie, etc.

La course a été négociée aller-retour, il nous attendra pendant qu'Emiline récupère des pièces dorées, toujours pour la fabrication de ses bijoux. La commande de la veille n'est pas prête, et sur le pas de porte, je continue à papoter avec l'homme. Dans un anglais «petit nègre» mâtiné d'un accent épais, je comprends péniblement qu'il me prédit une rencontre, je vais trouve le compagnon de ma vie, l'Inde est «incredible», il me vante ses contrastes, m'assure qu'elle n'est pas pauvre, en tous cas pas de coeur, commente le travail d'Emiline (ONG) et le qualitife de «good karma». Elle épate, la petite: son corps, son accent hurlent qu'elle est Française, ses habits, son attitude racontent «indienne de Varanasi». On échange les prénoms, lui, c'est Raj. Puis je ne sais comment, il vient s'asseoir à l'arrière avec nous et pose son bras sur le dossier du siège. L'étroitesse de la banquette nous colle les uns aux autres et, allant avec le flux, j'omets de faire respecter une limite: on ne touche pas.

Quand elle aperçoit qu'il a, mine de rien, posé sa main sur le haut de mon dos, un contact léger qui n'arrive même pas à me surprendre, Emiline lui remonte sévèrement les bretelles. Je savais les indiens plutôt toucheurs, j'ignorais qu il fallait fixer une limite claire. Emiline me dit que dès que les bornes sont dépassées, y'a plus de limites (enfin, c'est moi qui le dit ainsi…) et que le contact est inacceptable sur une occidentale.

Je me le tiendrai pour dit.

Fin de journée, nous reprenons le train pour Varanasi: huit heures dans une voiture climatisée avec des couchettes. Parfait. Sauf que, comme partout, la climatisation est trop puissante, il faut se couvrir. L'Inde est vraiment le pays des extrêmes…


L'Inde en pleine face. J'ai pris la photo sans rien voir sur l'écran LCD à cause de trop de luminostié ambiante.
Même pas vu que j'avais le doigt devant l'objectif...

Emiline fait son choix de perles
Wholesale boutique (produits en gros)
Jeudi 18 avril 2013

Encore une vingtaine de minutes de touk touk pour arriver à la guest house; cette fois, mes réflexes occidentaux reprennent le dessus et je me crispe une ou deux fois en apnée avant de tourner résolument la tête pour regarder n'importe où sauf devant.

On me montre ma chambre, je pose enfin mon sac, alors que le sol continuera de bouger sous moi pendant encore quelques heures: mémoire du bercement de l'avion et du train.


Journée «indian style» à traîner entre la chambre et la boutique de bijoux, le tout entrecoupé de siestes. Il fait chaud, cette fois, c'est officiel. Prise de contact avec Raju, le manager de la Mona Lisa Peace Cottage guest house of Vanarasi (prononcer à l'indienne : «ouarlanassi»), Armindo, le bénévole du moment, les amis de passage, Français, Suédois et une petite Anglaise. Pendant ce temps, Emiline et Armindo sont productifs: ils fabriquent des bracelets en ...macramé! SI!

Quelque trente ans après mon adolescence hippie, me voilà à tresser à nouveau un fil de macramé. Il a raison, Armindo, c'est comme le vélo, ça ne s'oublie pas. Avec les tissus indiens partout, les cheveux longs, les barbes aux joues des hommes, les odeurs d'encens, j'ai fait soudain un saut de quanta dans le temps.

Du macramé... (yeux au ciel)
Si on m'avait dit, il y a seulement un mois, quand j'en pouvais plus de cette neige partout, que je ferais du macramé à Varanasi par 38° quatre semaines plus tard!...

Le grand cycle de la vie.






3 commentaires:

  1. Te lire c'est me replonger dans ce merveilleux voyage qui m'a émue comme même l'Afrique n'avait su le faire. Incredible India cette terre moi aussi je la retrouvais...merci pour ces mots qui éveillent de nouveau en moi l'amour que j'ai pour ce pays pour ces gens, juste un rêve...PROFITE! ce que tu vis tu le porteras pour toujours en toi.

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  2. Je disais donc ( sur FB) que ça va très vite, le rythme indien ! ;)
    Jolies photos au passage...
    Bisous,
    Hélène

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  3. Chere Patricia ( j'ai un clavier anglais donc pas possible de mettre les accents :) )

    Tu vas devoir ecrire un livre ma belle, je me delecte avec tes recits, et c'est tellement drole!!! Je ris car pour mes 50ans mon mari m'emmene en Inde et oui et la j'ai une avant premiere. Merc Pat.

    Bref je vais devenir acro a ton blog, tu as un reel talent pour l'ecriture.

    Et pour le macrame par contre moi je n'ai pas appris, je fesais du tissage de perle.

    Profite ma belle et comme tu le dis si bien suis le courant , tu es un exemple pour nous tous.

    Vaya con dios

    Much Love

    Anne Marie

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Voyages en tous genres d'une citoyenne temporaire de la planète Terre. Commentaires bienvenus, mieux encore s'ils ne sont pas anonymes.