jeudi 30 mai 2013

Delhi


Pas de touk touk, non merci, mais le métro de la gare de Old Delhi jusqu'à celle de New Delhi. De là, quelques minutes de marche, l'hôtel est tout proche.

Nous prenons une chambre à l'hôtel Vivek, pile en face de la petite rue où se trouve la «Yes Please guest house», là où j'ai passé ma première nuit indienne, là où Olivier est venu chercher un billet de train que nous avions réservé et fait déposer pour lui.

Etrange différence: cette rue qui m'avait explosé le plexus et l'entendement il y a presque deux mois est une très jolie rue, propre —oui, je jure qu'elle me paraît propre—. Olivier ressent la même chose. Ça y est. Nous sommes habitués, immergés dans l'Inde.

Pas eu envie de retourner à la guest house «Yes Please», je l'avais trouvée vraiment petite, pisseuse et étouffante; et puis peut-être que je n'ai pas envie de changer la mémoire de ma première nuit indienne en voyant la pièce avec un autre état d'esprit. De plus, nous voulons l'air conditionné.

Une sempiternelle fois, marchandage de la chambre avec l'impression de se faire avoir. Pourquoi est-ce que j'ai l'impression que le mec dit en hindi quelque chose du genre: «Va leur faire voir la 203, à 600 roupies, c'est super bien payé, c'est un cooler, ils vont croire que c'est de l'air conditionné».
Un «cooler» est soufflerie qui propulse de l'eau, ça rafraîchit sans faire vraiment descendre la température. La chambre est bof: plutôt petite, pour un prix à peine correct. Je ne dis rien, après tout, ce sont nos deux dernières nuits en Inde, je n'ai pas envie d'être négative. C'est Delhi, une grande ville, les prix y sont sûrement plus chers. J'en ai marre de cet écoeurement mercantile, je décide de l'ignorer.

Nous trouvons un très bon restaurant où, une fois de plus, la cuisine indienne nous ravit. Depuis le début, Olivier ose tester; moi, j'ai toujours peur que ce soit trop épicé. Depuis quelques jours, et après avoir goûté aux plats qu'il commandait, j'ose à mon tour, et je me régale. Tout est toujours dans une même gamme de goût: curry, masala, un peu de feu épicé qu'on calme avec le riz ou le naan (galette de blé), mais les variations en sont subtiles et multiples. À chaque fois, c'est un goût différent et délicieux.

Les boissons sont à tomber! Le lassi (yoghourt) à la mangue dont la pleine saison arrive est suave. (Nous trouvons d'ailleurs sur un étal de marché des mangues «Alfonso» réputées les meilleures. Effectivement.) Nous apprécions tous les deux le fresh lime soda: un citron vert pressé, du sucre et une boisson pétillante légèrement amère genre Schweppes, mais au goût pas aussi prononcé. Ce soir, nous avons expérimenté une boisson au citron et à la menthe. Un parfait mélange de lime, de sucre —vraiment très peu— et de menthe hachée infinitésimalement. C'est vert, c'est tellement bon qu'on en commande un second.

Retour dans la chambre: pas d'électricité. On appelle à l'aide, le monsieur moustachu de l'hôtel arrive, bidouille, passe dans le couloir, remet probablement un fusible qui avait disjoncté, et au revoir merci, non, nous n'avons plus besoin de rien. À peine avons-nous dit cela, TSCHLAFF! court-circuit, tout pète à nouveau. Une flamme a jailli de la prise murale où est branché le cooler, et le mur est noirci de suie. Outch! Un mauvais souvenir récent vibre dans mes cellules. J'aime pô ça!

Le moustachu employé rétablit le courant après avoir débranché la prise et nous dit qu'avec le ventilateur, ça ira très bien. Ah non. Faut pas pousser Mémé… Djà que c'est pas «air conditionné» comme chambre, mais «avec cooler», si on ne peut en avoir l'usage, va falloir faire un discount ou quelque chose. «Discount» est un mot qui les motive à trouver une autre solution, alors Moustachu appelle Jeune-qui-sait-mieux à la resscousse pour réparer. Jeune-qui-semble-gérer-l'électricité bidoulle la prise dans le mur, la prise du cooler, rebranche le tout. Moi, je ne regarde pas et je rumine. Un incendie, ça suffit. Quand il a tout rebranché, je tente un: «are you SURE that…» (vous êtes sûr…?) «YES» péremptorise Jeune-sûr-de-lui. Je me branche sur sa certitude et sur celle d'Olivier qui me rassure, t'inquiète pas, Maman, ça va aller, pas de problèmes. Mine de rien, je rassemble mes affaires pour pouvoir tout attraper d'un coup si des fois… si jamais… Non, je n'ai pas vraiment peur, mais… Au cas z'où, je serai mieux prête que la dernière fois, disons.

On laisse tourner le cooler un moment, on allume la télé, mais les deux font un concours de décibels. Au bout d'un moment, c'est trop assourdissant, on coupe le cooler. Mais ça continue à faire un bruit de fontaine. Pas tout de suite, mais je finis par m'en inquiéter, alors qu'Olivier est sollicité aux toilettes. Je fouine autour de l'appareil et j'aperçois que de l'eau coule derrière l'appareil, je ne sais comment. C'est en train de tapisser le mur d'humidité et je crois comprendre comment le court-jus s'est produit plus tôt. L'eau a dû dégouliner sur le mur, s'infiltrer dans la prise et faire disjoncter.

Mh…. Je n'aime décidément pas ça du tout, j'éteinds tout et je tire la prise. Elle me reste entre les doigts. Jeune-électricien-de-mes-deux l'avait juste assemblée, pas vissée. Probablement pas de vis à disposition. Trop, c'est trop. Je déclare qu'il n'y aura pas de cooler cette nuit, tant pis, parce que c'est officiel, cet appareil me fait peur, et demain, ils vont entendre chanter Carmen! Non mais.

Sauf que…

Pendant la nuit, qui chante Carmen? C'est le tube digestif d'Olivier. Rejet complet.

31 mai

À l'aube, après maints remous nocturnes, il prendrait bien un peu de Coca pour roter. Je descends dans le hall et j'y rencontre Moustachu qui me demande si tout va bien.
— Non, pas très, merci.
J'explique le cooler, je raconte ma vie: incendie, tout perdu avant de venir en Inde ppppprécisément à cause d'un incident de ce genre, un appareil électrique défectueux, alors il faut rectifier, si vous voulez bien, mais plus tard, parce que pour l'heure, besoin d'une groooossse bouteile de Coca très frais et un jus d'orange pour moi, je vous prie.

Il va m'amener cela dans la chambre.
Et je vais payer la peau des fesses.
Et tout de suite.

Argh! Je déteste cet endroit, je déteste ce moment, je déteste ces gens. Je déteste l'idée que je vais quitter l'Inde en détestant l'Inde.

Négociation pour amélioration de situation, Moustachu déclare qu'il va voir avec le patron, que je descende dans un moment, on va discuter. J'inoccule un peu de Coca à Olivier, les urgences d'abord, ça soulage un peu. Je bois mon jus d'orange (même pas tellement bon! Un peu amer si vous voyez ce que je veux dire) et je sors pour aller voir le boss, bien déterminée! Faut pas poussser Mémé!

Moustachu m'attrape sur le palier, il a vu son patron, il me propose une vraie chambre avec AC (air conditionné), on négocie le prix wifi inclus. Pour la peine. Non mais. Bon, pas vraiment le prix bas qui me ferait les aimer, mais un prix correct qui nous arrange, parce que franchement, changer d'hôtel, là, avec un Olivier ainsi nauséeux, c'est juste pas vraiment envisageable.

On passe dans la chambre en question, la 201, sur le même palier. Moustachu aide à porter les sacs, je réclame le mot de passe internet. Oui, Expert-Informatique va venir. Il arrive un peu plus tard, donne le mot de passe et réclame la différence de prix. Alors là, Mémé —qu'il ne faut pas pousser, je le rappelle— s'insurge: j'émets un «non» bien ferme. Et droit dans les yeux de Expert-informatique-et-on-dirait-bien-le-boss, en poussant déjà la porte, je déclare fermement: «at check out time» (quand on partira).

Et là, j'observe ce que j'ai observé systématiquement depuis mon arrivée: une femme hausse le ton, et l'homme se ratatine comme un môme pris en faute. Il sait qu'il ne peut plus rien, son pouvoir est liquéfié. Entre eux, les hommes s'engueulent et se calment, rien à voir avec l'attitude devant une femme. Tout-boss-et-expert-informatique-qu'il-soit a rapetissé d'une taille et répète: «OK, at check out time» comme si c'était lui qui l'avait décidé ou plutôt, comme s'il n'avait plus qu'à valider une parole d'évangile.

Ainsi, j'ai vu Emiline se fâcher, dans le train quand les gens étaient bruyants, en marchandant quand vraiment le prix était trop élevé ou simplement en s'insurgeant quand elle n'était pas d'accord avec quelque chose. Dès qu'elle donnait de la voix, le mâle, plutôt macho jusque-là, se faisait tout petit et penaud. Je croyais que c'était elle qui impressionnait, mais sur les ghats, à Varanasi, un autre épisode m'a montré que non. Nous étions assises avec Emiline à déguster tranquillement un chaï, les yeux traînant sur le fil du Gange. Un Indien arrive, nous demande d'où on vient, dit comment c'est bien la France, il a un cousin qui parle français, «beonjeour, savabieeen?», etc. Avec Emiline, on répond volontiers, il n'est pas vraiment envahissant et plutôt sympathique, le garçon.

À ce moment, une femme indienne en sari vient ramasser les verres de chaï vides et râle en hindi auprès de Raju, assis sur le banc en face de nous. Il rétorque quelque chose en nous désignant, le gaçon et nous. La femme se tourne alors vers le garçon et lui râpe sur le poil. Il se renfrogne, tourne les talons et va s'asseoir, boudeur et voûté, dix mètres plus loin. La femme s'éloigne.

Emiline demande à Raju ce qui vient de se passer. Il raconte qu'elle râlait sur les jeunes qui embêtent les touristes. Alors Raju a dit qu'il y en avait encore un, là, qui embêtait les filles. La femme a repris de plus belle et l'a envoyé jouer ailleurs. On a éclaté de rire, avec Emiline, et prié Raju d'aller dire au garçon que c'était une blague, qu'il ne nous dérangeait pas vraiment. Mais Raju s'en foutait, il n'a pas bronché.

Or donc, ce matin, je suis Mémé qu'il ne faut pas pousser et j'ai imposé ma loi. Et l'homme a fait son petit garçon. Pas que j'aime vraiment cela, mais bon, depuis le temps qu'ils poussent aussi!

J'ai eu la même attitude quand Expert-informatique est arrivé, car je ne captais qu'un réseau très faible. J'ai dit: «it's weak» (c'est faible) et m'apprêtait à râler sur ce sujet également, mais magiquement est apparu un «no, no, good network» (non-non, bon réseau). Je savoure une bonne connexion internet. La meilleure depuis mon arrivée, pour être sincère, et pendant qu'Olivier récupèrera, je téléchargerai des photos et des videos, je ferai mes paiements, j'écrirai des articles de blog avec aisance et rapidité.

Olivier et moi déclarons que cette chambre est top. Je descends pour un petit déjeuner au snack de l'hôtel et je le reconnais: c'est là que j'ai pris mon premier petit déjeuner indien avec Emiline il y a deux mois! Plus tard, je retrouve la boutique où j'ai acheté une crème de parfum dans une très jolie petite boîte ouvragée. J'aimerais en ramener d'autres, ça va faire de très jolis petits cadeaux en rentrant. Le mec me reconnaît! Alors là, c'est bon, mon humeur est totalement retournée. Il me fait même un prix «for you», la copine d'Emiline. Je ne me fais guère d'illusion, mais le prix à la pièce est tellement correct que je ne réfléchis pas plus.

Finalement, je quitterai l'Inde en aimant l'Inde.
Je préfère.




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Voyages en tous genres d'une citoyenne temporaire de la planète Terre. Commentaires bienvenus, mieux encore s'ils ne sont pas anonymes.