dimanche 2 mars 2014

Progrès

Il intervint timidement:
—Oui, mais les robots, même s’ils remplacent toutes les tâches, n’auront jamais ce que nous avons: la conscience.
Sa remarque provoqua deux secondes d’un malaise flottant. On sentait que tous visualisaient la scène d’une technologie omniprésente qui ferait tout le travail. La journaliste balaya:
—Oui, bon, d’accord, mais les robots et la technologie qui remplacent tout, c’est une science-fiction déjà éculée. Ce que sera le futur, on ne peut pas le savoir.

Fondu-enchaîné, la scène suivante se déroule sur le même plateau de télévision, trente ans plus tard. Les invités sont parcourus d’un frémissement joyeux.
—Ah ah ah, leur conscience, commenta le présentateur. Rappelez-vous, on savait dès le départ que leur conscience était la clef. Impossible à éliminer à moins d’éradiquer l’humanité de la surface de la planète. La seule solution, c’était de les endormir en leur fournissant du prêt-à-penser, c’est ce qu’on a fait et ça a marché mieux qu’on ne l’avait espéré. Au point que même quand un insomniaque
du genre du grand, là, assis à côté du philosophe, qui non seulement comprend la vérité mais l’expose clairement, les autres, endormis, ne réagissent pas.
—Oh oui, je me rappelle, on y est allé fort, au début, intervint un invité. Il a falllu doser et les manipuler pour qu’ils croient qu’ils étaient libres d’innover. On a même mis des robots contestataires pour leur laisser croire que toute révolte n’était pas étouffée, que l'indignation existait encore. Mais personne n'a jamais bougé, puisque c'était nous.
—Vous avez vu la journaliste comme elle était incapable d’imaginer ce qui pourtant était en train d’arriver sous ses yeux? Comme c’était drôle! «De la science-fiction éculée», disait-elle. «On ne peut pas savoir ce que sera le futur». Ah, ah! Bien sûr que non, puisque c’est nous qui le contrôlons, le futur. «C’est la mère nature, c’est Gaïa qui va décider». Ah, ah, ah! Ils donnent leur pouvoir à des entités qui n’existent pas dans l’espoir qu’elles vont le leur retourner. Gaïa, le père Noël, les guides spirituels... quel meilleur moyen de les paralyser totalement?
—J’adore ces émissions comiques, dit un autre invité en essuyant ses larmes de rire. S’ils savaient, ces pauvres humains, qu’il suffirait qu’ils l’utilisent, leur conscience, pour décider de leur futur. Je ne pensais pas que ce serait si drôle de leur faire croire qu’ils sont impuissants.
—J’ai bien aimé ce petit moment où il a parlé de la conscience, le vieux philosophe, dit un invité d’une voix douce. Il y a eu une onde de vie, un moment humain particulier. J’aime bien les humains, moi.
—Tu es une vraie fleur bleue, toi, dirent tous les autres robots en choeur d’une voix métallique.



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