jeudi 3 avril 2014

En voie de disparition

En ce beau début d’après-midi de printemps, après une heure de gym, nous décidons, deux copines et moi, de boire un verre de quelque chose de bien frais au soleil. Justement, pas loin, il y a le restaurant qui porte le nom d’une danse légère, «…telle qu’on la dansait autrefois» chante Yves Duteil, avec une terrasse sympa, bien orientée, juste ce qu’il nous faut. Tranquillement, nous choisissons une table pour trois parmi plusieurs tables libres et nous nous installons. Le serveur arrive, sourcils froncés:

— Non, pardon, zé souis désolé, mais vous ne pouvez pas vous asseoir comme ça. Vous dévez attendre qu’on vous place, vous né pouvez vous asseoir comme ça.

D’un ton désagréable, il nous réprimande comme des gamines. Il n’est pas du tout sympathique, ce monsieur. Zut, tout allait bien jusque-là. Il dit quoi, exactement, l’énergumène? «Pas nous asseoir comme ça», alors comment? Y a-t-il plusieurs façons de s’asseoir? Je tente de garder un ton neutre, mais il doit comporter un zéphyr de sarcasme quand je demande:

— Ah bon? Vous ne faites pas restaurant?
— Si, Madame, si. Mais quand j’arrive dans un restaurant, moi, j’attends qu’on me place.

Une nouvelle mode, j’imagine. Qui ne me plaît pas plus que son accueil peu avenant. Bon. Admettons. J’enchaîne:

— Et là où nous sommes assises, ça va ou pas?
— Je ne sais pas, Madame, c’est pourquoi?

J’hésite à la jouer façon Bigard et à répondre «c’est pour un tennis». Pas sûre que ça le fasse rire. Je le rassure, gentiment, cette fois:

— C’est juste pour boire un verre.
— Oui, parce que la cuisine, c’est fermé, nous ne faisons plus à manger, et servir un verre, nous ne faisons pas non plus.

Ils font quoi, alors? Du tennis?
J’ai la moutarde. Intérieurement, je hurle un ras le bol général de ce monde qui part en c… quenouille, j'insulte ceux qui gâchent le printemps, j’énumère un certain nombre d’animaux et quelques injures du capitaine Haddock. Alors que nous avons quitté sa terrasse, il insiste, le fâcheux.

— Non, mais zé souis désolé, mais…

Quoi? Mais il me cherche! Il voudrait que je parte heureuse, par-dessus le marché?

— Ne soyez pas désolé, vous gérez votre entreprise comme bon vous semble, mais avec un tel accueil, sachez que vous n’être pas près de me revoir.

Il répète que ça ne va pas de s’asseoir comme ça, sur sa terrasse sans demander, il n’a jamais vu ça, quand on arrive dans un restaurant, on attend d’être placé. Il semble vraiment traumatisé par notre manque d’étiquette. Nous parlons en même temps dans le registre marchand de poissons.

— …Et perdre des clients comme vous, c’est pas grave, j’ai pas besoin de gens comme vous.

Ah voilà! Lui, il choisit ses clients. Je m’imaginais naïvement que quiconque pouvait venir s’asseoir, comme ça, à une table, choisir quelque chose à boire et/ou à manger, payer et s'en aller. J’ai dû rater une étape évolutive dans les moeurs de la restauration ou je n’y connais vraiment rien en marketing. Ou alors je suis d’une autre planète. Possible. Vu le ton de la conversation, je n’ai qu’une envie, aller boire ailleurs si j’y suis.

N’empêche que je reste avec plein de points d’interrogation. Voilà un patron qui dispose d’un endroit stratégique, d’une terrasse bien orientée dans un quartier passant de la périphérie de Genève, il sert à manger entre midi et treize heures trente et en suite, …quoi? La sieste? Autre chose: pourquoi le nom d’une danse pour une pizzeria?

Plus tard dans la journée, je suis en ville de Genève, place Neuve. La terrasse du Dorian est aussi accueillante que le panneau qui indique: «ouvert de 6h45 à minuit, restauration permanente» . De fait, deux hommes dégustent un appétissant plat de pâtes en plein milieu de l’après-midi. Ouf, le monde que je connais n’a pas totalement disparu. Je redeviens la fille agréable et souriante que je suis.

Il ne le sait pas, mais le serveur qui m’accueille chaleureusement et qui plaisante volontiers, je l’aime de tout mon coeur!





2 commentaires:

  1. Il devait venir des Etats-Unis, sauf que là-bas, il est juste d'attendre d'être placé parce qu'un panneau l'indique clairement et que souvent les établissements sont bondés... et on te place avec le sourire! Joëlle

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Voyages en tous genres d'une citoyenne temporaire de la planète Terre. Commentaires bienvenus, mieux encore s'ils ne sont pas anonymes.