lundi 28 octobre 2019

Un mot sur la sécurité

En cette fin d'octobre 2019, je prends ma retraite. Je la ponctue par un troisième voyage à Hawaii. Cette fois, j'ai décidé de faire une halte de deux nuits chez Mary Beth en Oregon, d'histoire de mieux intégrer le décalage horaire.

C'est à 5h30 du matin que commence ce voyage à l'aéroport de Genève où j'explique au préposé Swiss Air qu'il m'a été impossible de m'enregistrer en ligne la veille. Il m'explique que c'est normal, le HCSHMSMPMLS (Haut Commissariat du Service de Haute et Meilleure Sécurité du Meilleur Pays au Monde le plus Libre et le plus Sûr; ci-après dénommé «ils») veulent que mon passeport soit vérifié dès les départ.

«Eh bien voilà qui et fait» me dis-je en attrapant ma petite valise rouge, fidèle compagne de voyage, et nous allons faire la queue pour le premier contrôle de sécurité. J'avais naïvement cru qu'à cette heure, l'ambiance serait feutrée, j'avais oublié ce que le monde est devenu. Lundi matin, les armées de zombies se mettent en branle et envahissent les rues, les gares, les métros et les aéroports. En masse, harnachés de bluetooth, flanqués de leur smartphone, ils ont un air et un discours sérieux; c'est que ces gens-là font tourner le monde, n'est-ce pas!

C'est donc une foule grouillante qui déambule de grotesque façon en long et en large selon les chicanes installées avec au bout, les uniformes qui dictent les consignes. Pas besoin d'ouvrir ni mon bagage, bonne nouvelle. Je pose ma valise sur le tapis roulant, je flanque ma veste dans un bac et hop, les rayons X. Je passe le portique, c'est bon. Aisé! Je suis contente, ça démarre bien.

Petite leçon de géographie. À partir du moment où je passe la douane suisse, je suis à l'étranger. En l'occurence, en partance pour la Grande-Bretagne d'abord, puis les Etats-Unis. En transit, donc, sans le moyen de poser le pied sur le sol indigène. Je suis confinée dans des couloirs et derrière des vitres depuis maintenant jusqu'au moment où je quitterai l'aéroport de destination finale. J'y ai pensé tout à l'heure en prenant ma dernière goulée d'air frais aux senteurs de petit matin. Désormais, ce sera air conditionné et rien d'autre. Je ne goûterai aux températures de Londres et de San Francisco qu'en imagination et au travers des vitres. Je dis cela pour bien comprendre que depuis ce premier contrôle, je suis emprisonnée dans un couloir duquel il est difficile de sortir. J'ai voyagé avec une fumeuse qui tenait à en griller une sur une terrasse mais je vous le dis, de nos jours, pas possible de mettre le nez à la fenêtre d'un aéroport. Na-ha!

Je ne pas «impossible de sortir» parce qu'apparemment, ce système hystérique mis en place après 2011 a une raison d'être. Par curiosité, j'essaye d'imaginer les possibilités du terroriste qui se mêlerait à cette foule. Admettons que l'extrémiste fanatique fiché dans toutes les systèmes gouvernementaux ait néanmoins passé le contrôle des passeports sans encombres, que sa bouteille d'eau soit vide et que sa lime à ongles ne fasse pas plus de 6 cm. Où, quand et comment va-t-il se procurer de quoi fabriquer une arme ou une bombe?


Arrivée à Londres avec ses brumes d'Avalon et un étrange château de Merlin à l'horizon



J'ai donc passé un premier contrôle à Genève et j'ai été bienvenue à Londres. La sécurité est encore avenante, nous sommes a priori des visiteurs aux intentions louables. Mais aussi, je ne suis qu'en transit et comme je vais imposer ma présence étrangère en terre sacrée américaine, je suis dirigée dans des couloirs de plus en plus austères au bout desquels j'ai droit à contrôle sérieux cette fois. Non, c'est vrai, à Genève, les Suisses, ils ne peuvent pas comprendre. Ils n'ont fait qu'enregistrer une première fois mon passeport biométrique, par ailleurs dûment catalogué, référencé, photo-trombiné et iris-scanné déjà au départ, sans se rendre vraiment compte de l'autorisation qu'ils me donnaient. Je vais en AMERIQUE!  Donc, à Londres, deuxième contrôle de mon passeport et de mes bagages. On recommence: la queue disciplinée dans laquelle il est inconcevable de resquiller.

Pause «c'était mieux avant» : il fut un temps lointain où le fait de mettre le pied à l'aéroport faisait du voyageur un empereur ou une impératrice. Un voyageur à la bourre dont l'avion en était à l'embarquement se voyait faire une haie prioritaire par le personnel pour lui permettre d'attraper son vol à temps. «Laissez passer, laissez passer». Aujourd'hui, tu peux essayer! Je l'ai fait. J'ai reçu le regard diabolique, l'index levé au bout du bras et le mantra outré: «On ne fait pas ça. On ne fait pas ça». Penaude, j'avais perdu cinq places dans la queue.

Deuxième contrôle des sacs, on ne sait jamais, j'ai pu acheter ou voler un couteau, trouver des produits toxiques en pharmacie... Je ne sais pas, j'essaye d'imaginer, vous êtes marrants! Je dois sortir les liquides, montrer que ma bouteille d'eau est vide, détailler mon électronique mais pas besoin d'enlever mes chaussures. Là non plus, je ne comprends pas pourquoi il faut ainsi trier ses bagages. Les rayons X ne sont-il pas terriblement indiscrets? Pourquoi un contrôle comme ci et l'autre comme ça? Est-ce dû à la nationalité des contrôleurs? Les Anglais ne lisent pas les rayons X comme les Suisses? Cette étude est ardue.

Après le contrôle, j'entreprends mon jogging dans le terminal pour rejoindre la porte d'embarquement pour San Francisco. Ça prend un moment de marche énergique et je me mets à la queue. Glitch. Il manque un truc à mon passeport, je dois le faire re-vérifier par un préposé. Autre queue, très petite celle-là. Pourtant, à Genève, il m'avait mis le minuscule auto-collant pour dire que tout allait bien, que je suis une bonne fille honnête qui ne transporte pas de grenades ni d'armes à feu, mais il l'a collé sur ma carte d'embarquement, c'est peut-être pour ça.

Je dois passer dans une petite salle avec des tables. Une américaine est assise avec sa fille dans l'entrée et elle me lance «qu'il faut attendre» quand je passe devant elles. Son ton signifie «à la queue, comme tout le monde». Bon. J'étais de bonne humeur.

Je respire, j'attends mon tour. Des préposé(e)s de toutes les couleurs et de toutes les tailles, tous gantés de plastic bleu, nous confisquent nos cartes d'embarquement et nous demandent de sortir nos panoplies selon le tri d'usage avec un chouïa d'agressivité, je trouve. Toujours pas besoin de retirer les chaussures, cependant. J'ai l'impression d'être incarcérée, pour un peu, ils me feraient me déshabiller et me mettre en combinaison orange. Je regarde trop de films, moi...

Constat: voici donc un troisième contrôle pas tellement longtemps après le deuxième, sur un parcours où je me cherche la logique. Je suis toujours dans les couloirs de transit, aucune possibilité de sortir que ce soit et pas de boutiques pour mon matériel de terroriste. Donc peut-être que tout cela se justifie, j'ai vraiment du mal à capter la logique, je crois vraiment qu'elle s'est perdue en route, et je trouve que ça fait beaucoup de tracasseries, de bruit et d'énergies très basses en provenance de tous ces uniformisés frustrés et mal payés pour répandre la peur de la terreur.

San Francisco


Finalement, j'ai le feu vert, je peux embarquer pour l'Amérique. Il me semble avoir entendu «bon voyage». À l'arrivée de San Francisco, je dois faire trois kilomètres de chicanes dans une salle de vingt mètres sur trente quasi vide pour arriver devant un bandit manchot qui me parle quand je touche son écran. Je lui fais manger mon passeport selon ses instructions, je scanne mes quatre doigts de la main droite — pas besoin du pouce... et le majeur? — et je pose pour la photo. La machine m'engueule, je dois enlever mes lunettes et mon écharpe et faire la gueule. J'obtempère. Cette fois elle aime ma photo, moi pas. On dirait Tatie Danielle, surtout après neuf heures de vol et en noir et blanc (la photo).

Dans l'avion, j'ai dû faire mes devoirs et remplir la fiche d'immigration qui certifie que je n'ai pas de fruits ni de légumes sur moi, que je me promène avec moins de 10'000 dollars et que, juré-craché, je n'ai pas approché de vaches ces dernières semaines — je renonce à comprendre. Le capitaine nous a dit de bien veiller à bien la remplir et à l'avoir sur soi. Le bandit manchot me repose les mêmes questions. Je fais bien gaffe de donner les mêmes réponses, mais c'est assez facile, c'est non pour tout. Non à l'imbécilité.

Ensuite, je dois récupérer ma valise. Celui-là, de mouvement, j'avoue que je ne le comprends pas. Je ne suis toujours qu'en transit, pourquoi est-ce plus prudent à leurs yeux que je récupère ma valise plutôt qu'elle reste aux mains des employés de l'aéroport? Ne pensent-«ils» pas que j'ai pu trouver, entre la porte de débarquement et le hall de transit, de quoi fabriquer une bombe que j'aurais fabriquée dans les seules toilettes de ce couloir et glissée dans ma valise avant de la re-confier à la soute à bagages? — Oui, oui, je sais, je regarde trop de films.

Un jour, au départ d'un précédent voyage, j'ai vu une jeune fille avec un sac de voyage noir sur lequel était écrit qu'il contenait un long couteau, une grenade, une bombe et du liquide inflammable. J'ai espéré qu'elle n'allait pas débarquer en Amérique avec ce sac, parce qu'ils n'ont AUCUN humour à ce sujet. Cela dit, j'y pense au moment où je dois me retenir de répondre «oui» à la question «Avez-vous des intentions terroristes sur notre territoire?».

Après les bandits manchots, c'est encore 1,5 km de chicanes dans la même immense salle et là, ce sont des robhumanoïdes uniformisés de noir façon barbouzes grands méchants attention-attention. Un petit mec caché au fond gueule «next» avec agacement parce qu'il est libre et que ça ne suit pas. Forcément, personne ne le voit, caché derrière son comptoir prévu comme un bunker.

Je suis au spectacle! Tout ce cirque me fait bien marrer. Récapitulons: il s'agit là du septième contrôle avant de pénétrer l'Amérique. Pardon: en Amérique. Ah non? Quatrième, pas septième? Bon, mais tout de même...

Re-belote. Passeport, empreintes digitales et questions, cette fois. Qu'est-ce que je viens faire ici, avec qui, chez qui, pourquoi, combien de temps... J'ai une furieuse envie de lui dire que ça ne le regarde absolument pas, mais j'opte pour l'acte de charme limpide et transparent. Je souris avec bonté, je dégouline de gentillesse, je réponds pour de vrai aux questions. Je reste deux jours chez ma copine et après on va en vacances à Hawaii. «Oui, mon anniversaire est le jour d'Halloween», dis-je avec des étoiles dans les yeux au balaise rond et chauve qui se déride, contaminé par ma jubilation intérieure. J'en profite pour ajouter que ces vacances-là, c'est mon départ à la retraite. Il termine parfaitement cordial et me souhaite un bon séjour avec aménité. Je réponds de même, le film vient de passer de Mad Max à Bisounours. Magique!

C'est là que je vois que la petite fiche bleue n'a été réclamée par personne. Je la leur mettrais bien quelque part, tiens; j'hésite à la déchirer furieusement et la laisser en confettis au milieu de la moquette — ultime sacrilège dans ce pays qui se fiche enfin d'écologie depuis cinq minutes en ne trouvant rien de mieux que de répandre un intégrisme culpabilisant du petit consommateur tandis que les forages de fracturation hydraulique augmentent.  Je me retiens à l'idée que peut-être, on risque de me la demander encore, cette foutue fiche. Va savoir!

Je m'approche du tapis roulant pour récupérer ma valise et — miracle — elle arrive dans les trente secondes. Je regarde autour de moi pour voir si je ne vois pas un gars en robe avec un chapeau pointu et une baguette magique, genre Merlin. C'est pas possible autrement! — Un petit secret en passant, nous possédons tous un Merlin individuel qu'il suffit d'activer, mais c'est un sujet pour un autre article de blog.

Je fais cinq cents mètres de couloirs supplémentaires et je la redonne à un tapis-roulant affublé d'un préposé en gilet orange. Ou est-ce le contraire? Je distribue à tous des «thank you very much» sincères et aimants, parce que quand je suis en mode voyage, j'ai une vraie jubilation de gamine qui, apparemment, est hautement contagieuse ce jour.

Ensuite, devinez quoi? Encore un contrôle des sacs. Mais bien sûr! Le cinquième! Depuis le portique inresquillable, j'ai rencontré des toilettes, une boutique de sacs, une librairie, un coffee shop et une sandwicherie. De quoi largement pourvoir un terroriste, c'est sûr! Cette fois, il faut enlever les chaussures, laisser les sacs et les chaussures sur le tapis roulant et mettre les liquides et l'électronique dans les bacs en plastique, mais pas les chaussures ni les sacs, s'il-vous-plaît, enlevez les chaussures, mettez les sacs sur le tapis. Oui, l'électronique dans le bac en plastique. Le mec se chauffe un peu qu'on ne comprenne pas, comme si c'était TOUJOURS comme ça que ça se passait.

LÀ ! Cette fois, je suis autorisée à me déplacer librement dans le pays. Un dernier vol dans un avion minuscule à côté d'un grand échalas nerveux mais néanmoins super gentil et me voilà enfin hors de la cité-aéroport. Mary Beth a dix minutes de retard qui me permettent de prendre l'air frais du soir.

Je médite sur tout cela et je me demande.... Il semblerait que malgré toute cette haute sécurité, il y ait tout de même des illégaux, des méchants délinquants, des vilains et des pas beaux qui passent les frontières et violent la terre sacrée américaine.

Ne devraient-«ils» pas construire un mur pour empêcher cela?

Eugene, Oregon





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