lundi 1 octobre 2018

Venise grisaille

J'ai super bien dormi, l'humeur est remontée. Après un bon café, elle sera au beau fixe. Je suis seule dans la cuisine qui n'est pas très invitante. Je me fais un café et cherche de quoi me faire une tartine. Zut, on a oublié d'acheter du pain.

Nous avons rendu la voiture hier à Mestre car nous ne pouvions pas la rendre à Ljubljana, la branche française de Marseille où nous l'avions prise n'ayant pas d'arrangement avec la Slovénie. Comme Venise est une ville sans voitures... c'est avec une petite émotion que nous avons laissé notre fidèle compagnon après 2000 km parcourus ensemble. Elle avait l'air d'avoir fait le Paris-Dakar. Les objets ont une conscience, je jurerais qu'elle nous a fait des signes d'au revoir en retour avec un grand sourire joyeux.

Je laisse mes pensées en roue libre alors que je bois mon café chaud. Il se passe quelque chose de vraiment particulier sur ce voyage. C'est la première fois que je venais en Toscane. Plein d'amis y sont venus en vacances, c'est aisé depuis la Suisse, et ont été conquis. Je voyais les photos et me disait que oui, ça avait l'air beau, je devrais y aller un jour mais l'iimpulsion ne venait pas.

Plus tôt dans ce voyage, je pensais que nous flânerions sur la Côte d'Azur avant de passer en Italie et je me rends compte que je traînais les pieds à l'idée de passer la frontière. Pourquoi ce drôle frein? Mes dernières fois en Italie étaient de bons moments, mais c'était pendant et après mon divorce. Peut-être un résidu de mémoires douloureuses. Nous avons rejoint l'Italie en deux heures alors que j'espérais encore que nous prendrions le lunch à Monaco. Pas assez de temps, nous avions un timing exigeant. La côte italienne avant Gênes est particulière. Très montagneuse. En fait, l'Italie est bien plus montagneuse que je ne me l'imaginais. Je capte une autre énergie, le paysage est différent de la Côte d'Azur et quelque chose de profond se réveille en moi déjà entre Gênes et Cinque Terre.

La Toscane m'explose le cœur en douceur. Comment ne pas être séduit par ce pays? En plus de la félicité du voyage que nous nous créons, de la joie partagée avec Mauro, Annette et les gens d'ici, il y a un murmure supplémentaire que j'entendrai mieux après mon retour. — Une raison de plus de ne plus écrire à ce moment-là: je ne relatais la surface alors que l'immense partie cachée de l'iceberg vaut la peine d'être mise en conscience.

J'ai vécu en Toscane, c'est sûr. Une ou des vies plutôt paisibles, je ne sens pas en moi les gènes du drame sur ce terroir, c'est sûrement pour cela que l'attraction n'était pas si forte — je suis Scorpion et plutôt attirée d'emblée par l'intensité.

Je me reconnecte ici à une forme de bonheur de vivre. Cette terre a été nourrissante et enrichissante pour moi. Il me semble que ma créativité est née ici. Je repense à la devise de l'Armée du Salut : "soupe, savon, salut". C'est l'ordre des besoins humains. Manger, subvenir aux besoins corporels avant de pouvoir penser à la spiritualité. La créativité peut naître dans le chaos, elle s'épanouit dans la sérénité. L'art, la maîtrise d'une technique se fait dans la paix. Il m'est encore difficile de mettre en mots ce que j'ai vécu pendant ces journées en Toscanie, sûrement que je vais l'exprimer dans mes prochains dessins.

Ce matin, tout cela monte encore confusément à ma conscience, d'autant que des mémoires vénitiennes viennent s'ajouter à celles qui sont déjà en éveil. C'est probablement ce qui m'a rendue un peu ours mal léché hier soir, tout cela est bouleversant à un niveau semi-conscient.


«Grande église»





Hisako et Moishe sont allés voir le lever du soleil, ils se sont promenés et ont fait des photos de «jolis endroits, il y a une grand église que j'aimerais bien visiter» dit Moishe. Ils ramènent des croissants. Miam! La vie réelle reprend la priorité. Nous organisons le séjour vénitien via internet. Nous sommes tous sur nos ordinateurs à la recherche des meilleurs plans. Pour la visite de la Basilique San Marco, acheter les billets en ligne nous permettra de ne pas faire la queue à l'entrée, et réservation d'une gondole avec sérénade pour mardi soir. Quand Mary Beth a annoncé qu'elle voulait faire ça, j'ai hurlé «piège à touristes!»

— Je sais, mais c'est tellement romantique. Quand, ailleurs dans ta vie, auras-tu quelqu'un qui te chante une sérénade sur une gondole? Il n'y a qu'à Venise...

— Ce-sera-sans-moi-jamais-de-la-vie!

Elle cherche un autre argument. Hisako se tourne vers elle et dit d'une voix douce:

— T'inquiète pas, quand on aura pris les billets, elle viendra.

Sale gosse! Je suis dévoilée!

— Je viens, mais uniquement pour voir ta tête quand il chantera.

Je regarde pour des billets, ils sont entre 100 et 400 €. Ça va pas la tête? Au bout d'un moment, Hisako et moi tombons sur le même site: 40€. Sauf que le cantante n'est pas individuel, il chantera  pour cinq ou six gondoles qui feront la balade en même temps. Déjà nettement moins romantique, mais Mary Beth est contente.

Puis je mentionne le pont des Soupirs dans les choses à voir et je raconte pourquoi. Hisako et Moishe disent alors qu'ils l'ont peut-être bien vu ce matin. Ils vont chercher leur appareil photo: sans s'en rendre compte, ils ont découvert le pont Rialto, la Piazza San Marco avec la «grande église» et le fameux pont des Soupirs. Éclats de rire.

Nous partons déambuler dans les rues de Venise sous une petite pluie fine qui ne durera pas. L'été est fini, nous avons enfilé les vestes. J'étais venue il y a vingt-deux ans avec mes enfants petits. Je n'étais alors pas du tout celle que je suis aujourd'hui et mon ressenti est complètement différent. J'avais gardé le souvenir d'une ville délabrée et sale et j'ai été fascinée par la splendeur qui régnait encore.
Aujourd'hui, cette splendeur irradie. Les maisons sont manifestement restaurées et entretenues, les rues sont propres.














Les énergies me sont familières, incroyablement inspirantes et apaisantes. Je pourrais m'installer ici pour créer. Il y a en bas de chez nous une boutique de pigments de couleurs et d'instruments de calligraphie qui me fait saliver.




Nous passons devant une église où un concert de Vivaldi est annoncé pour ce soir. Cette fois, ce sera sans moi. Je ne sais pas apprécier un concert, j'ai besoin de visuel. Je m'ennuie au bout de dix minutes, je n'ai pas envie de me joindre juste pour faire plaisir sur ce coup-là. D'autant que Vivaldi a tendance à m'arracher les larmes d'une étrange nostalgie. Je l'ai trop entendu à des enterrements...




Nous nous perdons dans les rues et nous laissons attirer par une petite trattoria où la nourritue est délicieuse et étonamment pas chère pour Venise. Nous constatons une fois de plus que notre instinct est meilleur que les guides touristiques.

La piazza San Marco est étonnament vide: seulement la moitié des touristes et des pigeons habituels. C'est l'avantage de voyager hors saison. La basilique est monumentale. C'est un édifice construit par-dessus des petites chapelles, on en discerne les différentes parties. Elle est d'influence byzantine et par endroits, on se croirait vraiment dans une grande mosquée. Les mosaïques sont somptueuses. C'est noir de monde. Nous prenons un billet pour le musée pour la possiblité d'aller sur le grand balcon. La vue de la place de cet endroit est magnifique même par ce temps gris.







Ce goéland n'aime pas les paparazzi






















Il est temps de rentrer, Mary Beth et Moishe ont tous deux des rendez-vous professionnels en ligne. Pas le temps de manger au restaurant, j'avoue que je suis contente. Nous achetons des paninis en bas de chez nous et les trois autres partent pour le concert après le repas. Je savoure un moment de solitude.








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