jeudi 1 février 2018

Envol



Il pleut et il fait froid quand je me fais emmener à l'aéroport en ce jeudi aux toutes petites heures du matin. A 5h, nous traversons la ville en à peine vingt minutes. Comme d'habitude, j'ai le ventre serré à la fois d'une grande excitation mais aussi de stress. J'ai décidé de me faire accompagner non seulement du Maître — mais il est volatible et dès que je détourne l'attention, il a tendance à se mettre à l'écart — mais aussi de deux compagnes qui m'ont semblé adéquates: Grâce et Aisance. Quand l'estomac commence à être noué en plus du ventre, je les appelle à la rescousse.

J'embrasse Mado qui m'a courageusement accompagnée en voiture et qui retourne vite finir sa nuit et je rejoins le hall des départs sous un crachin froid et piquant. Au guichet d'enregistrement, je signale à l'hôtesse qu'il manque une lettre à mon nom. Elle me dit que ce n'est vraiment pas grave, mais quand elle voit que je vais aux USA, elle fait le nécessaire pour modifier mon billet, ils peuvent être chatouilleux, les Américains. Nous décollons pour Paris alors que le soleil se lève. J'adore l'avion: peu importe la météo, dès qu'on est en altitude de croisière, il fait grand soleil. J'adore ces tons matinaux qui vont du rose au bleu tendres, j'adore être au-dessus des nuages. À l'approche de Paris, la Lune fait son apparition. C'est la Lune bleue du 31 janvier qui s'était même éclipsée la nuit dernière ce qui en fait vedette du jour. Sa présence ainsi est étrange et magnifique.


Petit déjeuner de classe bien française qui me procure un plaisir velouté.

Pleine Lune bleue de janvier 2018 revenue de s'être éclipsée.

À l'approche de Paris, les inondations.


J'ai peu de temps pour ma correspondance, le ventre se rappelle à mon souvenir et pour me rassurer, je demande au pilote en sortant de l'avion si à son avis, je vais arriver à atteindre le terminal E en une demie-heure. Il regarde sa montre :

— Ah ben, ne tardez pas trop, Madame!....

Super... Encore perdu une occasion de me taire!  «Grâce et Aisance, à l'aide!» injoncté-je in petto mais néanmoins vigoureusement. J'ignore si je dois passer un contrôle de sécurité, à quel point il sera serré, la longueur et le nombre des couloirs, bref, je presse le pas en contrôlant mon stress.

Je longe les couloirs, traverse les boutiques de duty free, les indications ne sont pas limpides et soudain, une queue qui part sur la droite dont je n'arrive pas à évaluer la longueur. Ça bouchonne et ça m'inquiète. Combien d'autres couloirs après celui-là? J'aperçois une trouée sur la droite, la pancarte au-dessus indique un truc obscur. J'interroge ma voisine du regard, elle hausse les épaules et s'y engage. Je lui emboîte le pas. Ah ben effectivement, nous doublons une longue queue pour arriver à des portillons automatiques. Une préposée remarque mon passerport rouge :

— Ah non, pas du tout, impossible, me dit-elle.

Et elle m'ouvre la chaîne pour passer dans la queue qui convient à mon passeport étranger et m'indique que ces guichets sont prévus uniquement pour des passeports biométriques français.

J'explose de rire intérieurement: je viens de gagner bien 20 minutes de queue, peut-être même plus!! Je remercie Grâce et Aisance, sans elles, c'eut été chaud! Dans un autre pays que la France, on m'aurait refoulée à la queue originale. C'est donc un contrôle des passeports, vais-je avoir droit encore à un contrôle des sacs? Je longe rapidement les couloirs jusqu'à la porte M pour constater que non, plus d'autres contrôles, seulement la queue d'embarquement. YES! J'ai même encore le temps d'aller aux toilettes avant de grimper dans l'avion.

C'est maintenant que ça devient intéressant. Je vais prendre un A380 pour la première fois. Je l'aperçois à travers les vitres, mais si je vois bien que c'est un gros avion, je ne peux guère juger de l'entièreté de sa taille. Il y a trois portes d'embarquement, la mienne atteint directement au pont supérieur. Dommage, j'aurais adoré grimper les escaliers dans la cabine. Le surclassement en business était au-delà de mon budget, je voyage donc en économique où je découvre que les sièges sont de taille... économique. J'ai passé devant devant les places business, je n'ai pas insisté, ça faisait un peu mal. M'en fous, quand je serai grande, je me payerai une place en business. Non, une place en première, tiens!

Difficile de juger mais c'est tout de même un gros avion!

Mon domicile pour les prochaines onze heures.


Tout de même, c'est confortable. Je suis côté couloir sur une rangée de quatre fauteuils et pour l'instant, pas de voisin direct. Un couple s'est installé sur les deux places côté autre couloir et quand il s'est assis, lui m'a salué chaleureusement et m'a déclaré:

— Vous avez une chance énorme de m'avoir comme voisin!

Il est beau gosse et il le sait, il me fait rire avec son attitude de mâle français. Il n'en fait juste pas trop.

— Et réciproquement! je lui réponds d'un ton badin.

En attendant que l'avion se remplisse, nous échangeons les informations d'usage: destination, provenance et quelques banalités. L'embarquement terminé, ils se déplacent tous deux sur les fauteuils libre à côté du hublot. On se souhaite bon vol, car finalement, on ne le passera pas côte à côte.

J'ai donc toute la banquette pour moi! Ah non, une jeune fille vient se mettre à l'autre aile, ça fait deux places libres entre nous, ça reste malgré tout plus confortable. Merci le Maître et les copines de voyage! Je suis totalement euphorique, moi.

Sur l'écran, on peut sélectionner l'une des trois caméras externes: avant, arrière ou «paysage» pour celle qui est sur le ventre de l'appareil. Géant! Dès qu'il avance sur le tarmac, je peux enfin juger de la taille de ce mastodonte. Impressionnant! C'est parti pour onze heures de vol.



J'atteris à Los Angeles et j'ignore quel temps il est. Temps de manger, de dormir, mon corps est complètement décalé à ce stade. Je n'ai pas réussi à dormir autant que j'aurais voulu, et je suis moulue.


L'appareil met un petit peu plus de temps que d'habitude pour ralentir...


Le transit a LA est interminable, mais avant toute chose dès la descente de l'avion: toilettes! J'en profite pour me brosser les dents ce qui me donne l'impression d'avoir pris une bonne douche! Puis c'est l'imigration. La chicane nous fait traverser huit fois la largeur du hall, c'est pas plus mal, ça permet de faire fonctionner les jambes. Au bout, c'est un jackpot qui me reçoit. Enfin non, c'est un guichet automatique, autant s'y faire, bientôt il n 'y aura plus que cela et l'humaine qui m'y dirige sera un magnifique cyber préposé à la beauté et la jeunesse préfabriquées. Je réponds électroniquement aux questionnaire auxquelles j'ai répondu scripturalement précédemment, ce qui m'énerve un peu, mais bon, le Maître calme l'humain et lui dit «c'est pas grave». Suis-je mâle ou femelle, seule ou accompagnée, ai-je du cash sur moi, combien, qu'est-ce que je viens faire aux States, pour combien de temps? toutes les questions indiscrètes d'usage. Puis la machine prend  mes empreintes digitales et une photo, vraiment pas flatteuse, de ma trombine hirsute et de mon air égaré de la fille qui vient de faire douze heures dans la voyageosphère. Jackpot crache un billet sur lequel cette trombine est reproduite sommairement et voilà qui me met en joie. On ne peut faire pire mais Madame Sécurité est contente, elle est repue de mes informations et elle m'ouvre le passage.

Je déambule dans les longs couloirs pour récupérer ma valise avant de la remettre très vite sur un tapis roulant pour la suite du voyage. Ensuite, je dois trouver ma porte de départ, ce qui me permet de passer un petit moment à l'extérieur avec un couple qui cherchait également le Terminal de Delta Airlines et qui m'a emboîté le pas quand le préposé à qui j'ai demandé mon chemin m'a indiqué la route. J'adore ces rencontre express entre voyageurs. En quelques minutes, on raconte d'où on vient, où on va, une tranche de vie savourée réciproquement en vitesse. La connection est ciblée, istantannée, on va droit au but, pas de temps à perdre, on va se quitter dans quelques pas. Ce sont des moments vrais. D'ailleurs, on ne parle jamais avec n'importe qui, dans ce moments-là, seulement avec ceux dont la trombine et ce qu'ils dégagent nous plaît.

Il fait délicieux en Californie, j'en profite pour me remplir les poumons d'oxygène non conditionné. Pour la première fois depuis le départ, j'ai le temps de flâner. J'ouvre l'ordinateur, je me connecte au wifi et j'ai des nouvelles du monde. Quelques messages auxquels je réponds, un échange avec Mary Beth qui va décoller de Seattle dans quarante minutes et avec Hisako, déjà à la maison, qui nous dit qu'elle va faire quelques courses pour tout le monde. C'est la fin du jour et j'ai droit à un coucher de soleil digne de la côte ouest.

Parmi les sms, deux photos de mon fils actuellement en voyage au Brésil.
Il a suivi mon vol  sur son smartphone.

Il m'indique que «lanches» signifie snacks 😁

Après l'A380, l'avion pour Kona semble bien petit...

Coucher de soleil californien pour dire au revoir.

Ce dernier vol est le plus long, à ce stade, mon corps n'est plus mon ami et le confinement devient insupportable. Heureusement, c'est pleine nuit à mon horloge biologique, c'est également la nuit dehors et j'arrive à attraper du sommeil un peu plus profond. Je dors en pointillé, mais je dors et ça fait passer le temps plus vite. A côté de moi, un couple adorable qui porte un masque de protection par moments. Elle me souligne plus tard qu'ils ne sont pas malades mais veulent éviter de le devenir. En soi, je comprends, mais je n'aime pas le message que ce comportement véhicule. La peur des microbes, de ce qui peut arriver de fâcheux, la peur de l'extérieur. L'autre devient une menace alors que je vis tout le contraire. Je chasse le sentiment d'une grande inspiration, le Maître me rappelle que ça n'a pas d'importance. Ce sont leurs peurs, pas les miennes et ça n'enlève rien aux gens adorables qu'ils sont.

Je suis contre le hublot, je lutte contre mon envie d'aller aux toilettes le plus longtemps possible mais soudain, je n'en peux plus. Un coup d'oeil à ma droite pour avertir que je vais devoir passer, ils dorment tous les deux! Ah non, je ne serai pas cette personne qui réveille quelqu'un qui dort pendant un vol. Ce sont des moments trop précieux. À cet instant, avec cela et l'ankylose, je rêve d'être capable soit de sombrer dans le coma à volonté, soit de me télétransporter aux toilettes. Quelques minutes plus tard, ils se réveillent et quand je déclare que «je dois absolument y aller», ma voisine me dit qu'elle aussi. Elle part la première et me cède la place devant la porte. Une fois de plus, je me dis que le monde est rempli de gens décidément très gentils.

Il faut maintenant faire nos devoirs, nous recevons un formulaire administratif à remplir. Des cases à cocher: ai-je de la nourriture, des graines bizarres, des animaux incertains, je promets que tout ce que je raconte est la vérité, toute la vérité, rien que la vérité...? C'est le Département de l'Agriculture qui tient à s'assurer que je ne viens pas transformer le biotope de l'île avec mes gros sabots de touriste. Je rassure. Hawaii devrait survivre après mon séjour.

A Kona, le tarmac est minuscule et nous le traversons à pied. Je vais chercher ma valise qui arrive étonnamment vite sur le carousel. D'ailleurs je note mentalement que mes bagages sont arrivés vite pendant tout ce voyage. Encore une jubilation qui ajoute à la joie du voyage et une onde de gratitude pour Grâce, Aisance et le Maître.

Je retrouve Mary Beth et nous nous sautons dans les bras. Il fait moite, nos embrassades ne sentent pas la rose! Puis nous prenons la navette pour rejoindre le bureau de location de voiture et quand j'en descends, la voix demande :

— Ma valise rouge de cabine?
— Your'e kidding? répond la voix de Mary Beth.

Merde, non, je ne plaisante pas, j'ai oublié ma valise cabine. Je refais le film, c'est flou. Je ne sais pas si je l'ai oublié après nos embrassages ou un peu plus loin avant de grimper dans la navette. Mary Beth déclare d'un ton très calme qui court-circuite mon affollement:

— Pas de problèmes, on prend d'abord la voiture et on retourne au terminal d'arrivée.

C'est une fois de plus un robot qui nous mange de l'argent virtuel et nous délivre un bon à louer. Dehors, le préposé au parking est un Hawaiien débonnaire qui sent bon le début des vacances. «Aloha» lui dis-je avec bonheur. Il apprécie. Nous choisissons Madame Rogue qui sera notre compagne de voyage pour le mois.

De retour au terminal, la valise n'est plus là, bien sûr, et plus personne pour me répondre. Je fais la poule un moment, courant de droite à gauche pour trouver de l'aide. Je discute avec un flic qui me fait vivre un moment flottant. Il me demande mon nom d'un ton inquisiteur, de décrire la valise, je me rends compte que j'ai dû le déstabiliser avec mon mauvais anglais dû à la fatigue et la perte de mon bagage. Quand il se sent rassuré que je ne suis pas une dérangée, il devient cordial et m'apporte toute l'aide qu'il peut, c'est-à-dire pas grande chose, parce que tout le monde est parti, revenez demain à 18h30, les gens de Delta Airlines ne commencent pas avant. Re-merde!

Contrairée mais curieusement pas angoissée, je remonte dans la voiture et nous prenons la route pour rejoindre la maison. Il va falloir survivre à 24 heures sans ordinateur, le pourra-t-elle? Vous le saurez en suivant notre prochain épisode.

Hisako saute de joie à notre arrivée et nous découvrons la maison. Encore mieux qu'en photo. Il est 23 heures locales quand nous nous faisons à manger, chacune ayant son décalage horaire personnel.

Fin de cette longue journée de plus de trente heures.

Et fin de ce long article, bravo à ceux qui lisent, ça veut dire que vous avez tenu le coup jusqu'au bout.



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