jeudi 27 septembre 2018

Florence

Ce matin, nous avons mis le réveil. Nous allons à Florence, donc pas de long petit déjeuner qui mange la matinée.

Hier, j'ai pris des billets sur internet pour la visite du Palazze Vecchio. J'aimerais admirer et sentir un original de Michel Ange. J'ai une connection spéciale avec lui. Lors d'une méditation l'année dernière, je l'ai vu arriver sur mon écran intérieur. Une belle grande présence lumineuse et j'ai reçu le message que je pouvais puiser à son inspiration. En y réfléchissant après coup, je me suis dit qu'il était parfait pour moi: je visualise mes mandalas partout et spécialement en très grand sur des murs. Michel-Ange, c'est celui qui a peint le plafond de la chapelle Sixtine, n'est-ce pas? Il n'a jamais eu de problèmes de fin de mois difficiles, il a été reconnu et apprécié de son vivant et fut même mandaté par le gouvernement pour habiller des édifices officiels et publics. Vu que la Toscane est son pays, j'aimerais mieux le rencontrer, renifler de près l'une ou l'autre de ses œuvres pour que la connexion soit plus sensuelle.

Je voulais voir le David, bien sûr, mais on ne s'y prend pas la veille pour rendre visite à David. Il faut prendre son billet des semaines à l'avance. Je me rabats donc sur le Palazze Vecchio qui expose également plusieurs œuvres du Maître.

En partant de la ferme, nous avons quelques villages à traverser par des petites routes départementales avant de rejoindre l'autoroute. Je me réjouis intérieurement: nous allons dans la direction opposée à Arezzo, donc normalement, pas de pont bloqué dans cette direction, pas de déviation. À un moment, Moishe hésite quant à la route et demande conseil. J'aperçois un panneau qui indique «Firenze» sur la droite sur un joli boulevard tout lisse. Je me rendrai compte plus tard que Firenze ne lui dit rien vu qu'en anglais, Florence se dit comme en français: Florence. D'ailleurs, Moishe ne regarde pas les panneaux routiers, il suit l'itinéraire donné par madame Google Maps sur son smartphone installé en GPS sur le tableau de bord et qui indique un petit chemin un peu avant sur lequel il s'engage en toute confiance.

Je m'excite. Ce chemin étroit et cabossé est sans doute une erreur, je n'ai pas envie de répéter l'épisode de l'autre jour, cette fois, je décide de me faire entendre.

— Non. Ce n'est pas la bonne route, s'il te plaît, Moishe, fais demi-tour!

Ce que je n'ai pas vu et que madame Google Maps montre clairement sur le smarphone, c'est que ce stupide chemin rejoint la route 800 mètres plus loin.

Trop tard, j'ai mon moment.
J'explose, je crie, j'insiste.

— Demi-tour, nous sommes sur la mauvaise route, demi-tour, s'il-te-plaît, Moishe, demi-tour, fais demi-tour!!!
— C'est bon, me dit-il calmement en contenant sans hésiter.

Ce n'est plus lui, ce n'est plus moi. Je suis dans une bulle noire qui doit remonter à plusieurs vies antérieures. Je me sens piégée sur le siège arrière d'un véhicule qui m'emmène contre mon gré sur un chemin difficile, tortueux, apparemment sans issue alors que je vois le boulevard tout droit et lisse juste à côté. J'ai beau crier, on ne m'écoute pas, je me sens terriblement impuissante. Une vieille rage monte en moi contre «ces foutus mecs incapables d'admettre de se tromper et de faire demi-tour», colère contre les abus de toutes sortes, les empêchements, les obstacles, les frustrations, c'est un gros sac poubelle qui se remplit tout seul.

— Regarde, on rejoint la route, me disent les autres.

Je me tais. En effet, après avoir cahoté en sinuant et traversé la petite cour d'une maison, le chemin merdique rejoint le boulevard.

Je boude. Je continue à fulminer intérieurement. Je me jure que plus jamais je ne fais conduire, d'ailleurs désormais, je vais prendre le volant de cette foutue voiture, c'est vite vu! Le reste de mes ruminations n'est pas avouable.

Quand enfin le calme revient quand nous arrivons à Florence, je me sens légèrement coupable. Qu'est-ce qui m'a pris de me fâcher pareillement? Un peu dans mon coin, penaude, alors que nous prenons le train pour rejoindre le centre de la ville après avoir posé la voiture dans un parking périphérique, j'essaye de transformer. La métaphore me paraît limpide: mais pourquoi insister sur un chemin merdique qui force le ralenti, qui peut être dangereux, un chemin difficile alors qu'il y a un boulevard tout droit juste à côté? Pas de réponse à cette question purement réthorique.

N'empêche que ça m'a fait du bien de péter un câble. Je me sens mieux. Moishe semble ne pas m'en vouloir, les filles non plus. C'est que j'aime avec eux: je faire ma chieuse cinq minutes sans conséquences. C'est manifestement un sac poubelle à moi, personne ne va s'en occuper à ma place. À moi d'appeler le camion-poubelle. Je prends une grande respiration, il fait beau, je ne vais pas gâcher la journée.

Après avoir passé dans un centre commercial pour trouver éventuellement un magasin de cuir — les filles m'ont avertie qu'elles allaient en acheter... du cuir italien, tout de même — nous partons en direction du Palazze Vecchio. J'ai Google Maps sur mon smartphone, Moishe déclare:

— C'est toi qui montres la route, Patricia, OK?

Je reçois cela comme un geste de reconnexion que j'accueille avec coeur. Nous déambulons dans les rues de cette ville magnifique et je suis tout à fait moi-même en arrivant au bord de l'Arno. C'est beau à couper le souffle. J'emprunte le pont, je fais des photos, les autres font de même. Je traverse le pont alors que le Palazze Vecchio est sur cette rive: Je lèverais les yeux que je verrais sa tour, qu'il est prévu de grimper. Sauf que je n'ai aucune envie de faire les escaliers. Je plaisante en demandant s'il n'y aurait pas un ascenceur et j'avertis que ce sera sans moi.















Moishe glisse à Mary Beth que je me trompe de route. Elle l'engage à lâcher, c'est pas grave, on se promène, on reprendra le prochain pont. Je m'enfile dans une rue plutôt étroite et j'ai alors un moment d'un autre genre. J'étais déjà envahie d'un sentiment très agréable en arrivant dans cette ville et là, je jurerais que je connais cette rue! C'est tellement fort que je le dis à haute voix.

— Moi aussi, dis Moishe.

Voilà qui dissipe les résidus de bouderie que je tenais encore. Je lui raconte alors ma connexion avec Michel-Ange et pourquoi j'aimerais voir l'une de ses oeuvres originales. C'est un joli moment de communion, pas mieux explicable.





Un peu plus loin, nous nous enfilons dans un magain de cuir. J'ai le coup de foudre pour une veste rouge que j'adopte sur le champ. Les copines ne trouveront pas leur bonheur, mais c'est encore un bon moment que de faire les magasins entre filles. Moishe est parfait dans ces moments-là, il attend patiemment que ça passe tout en donnant son avis honnêtement. Il a tout compris.



En parlant du détour que nous avons fait, nous observons comment nous avons été aimantés par les mémoires qui flottaient dans la rue. Sans compter que sans cette erreur, je n'aurais pas trouvé ma belle veste! Comme quoi, le bon chemin n'est pas toujours le plus court!

Et je pondère sur le précédent épisode en me disant que peut-être au lieu de gueuler qu'on n'était pas sur le boulevard, j'aurais mieux fait de regarder sur ce chemin tortueux. Va savoir, devant la petite maison, il y avait peut-être l'homme de ma vie?  


















Nous arrivons enfin au Palazze Vechio. Nous grimpons le grand escalier pour visiter le musée quand une femme ferme la grille.

— Ah ben non, nous voulons visiter!
— Non, c'est fini, la billeterie est fermée.

Quoi? Il est 15h! C'est quoi ce binz?

— Mais on a des billets! Achetés sur internet.
— Ah oui, mais non. On ferme.
— Ben pourquoi?
— Ben parce que... «short day» (journée courte).

Elle donne une explication en anglais avec accent italien que je ne comprends pas et répète «short day».

Je n'avais pas envie de grimper les escaliers de la tour, mais c'est pas une raison pour créer la fermeture du musée, me dis-je intérieurement, pour rire.



Palazze Vecchio





En fait d'oeuvre de Michel-Ange, je devrai me contenter de la reproduction extérieure du David. Bien que magistrale, la statue ne me fait pas vibrer — évitons les sous-entendus douteux liés à la plastique du nu exposé, voulez-vous? Je me dis que peut-être plus tard, ou à Venise, la rencontre pourra se faire.












Nous marchons encore un moment dans les rues de Florence et tombons sur un signe bizarre. Attention, suicides? Nous sommes perplexes. Mauro et Annette nous expliquerons plus tard que c'est l'oeuvre d'un artiste de rue. Je découvre plus tard sur un coin de photo un autre panneau du genre.






Fin de la visite, nous rentrons à la ferme. Ce soir, il y a repas collectif. En précisant que c'était en bas de chez nous et que ça allait être bruyant, Mauro nous avait dit, le premier jour que «c'est mieux de participer». Conseil plein de bon sens, encore que la soirée n'est pas si bruyante.

Nos noms sont sur les tables, on nous sert des plats délicieux faits avec les produits de la ferme. Une fois de plus, bonne ambiance autour de la table. Les Allemands ne sont pas d'un abord instantané, mais au bout d'un moment, ils se dégèlent et nous conversons agréablement.



Séance photo avant l'arrivée du reste des invités








Encore une bonne soirée dans un cadre magnifique, ponctué par un majestueux coucher de soleil.
Non, non, ce n'est pas lassant!






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